jeudi 16 août 2018

Chat Ô Perché [2]


Il était une fois un Château Perché.  

Les souvenirs doucement deviennent cette poussière d'étoile si précieuse, si fragile. Ce sont les sensations, les couleurs, les chaleurs qui s'assemblent pour former le tableau de notre mémoire. Laissez-moi vous en conter encore l'histoire.

Château Perché Festival 2018 - Un campement haut en couleur - (c) Paul-Sinh

Tôt le matin, il fait vite trop chaud pour rester sous la tente où je tourne en rond. Je n'arrive pas cependant à savoir si la tonnelle apporte de la fraîcheur ou fabrique une étuve.  Tout le monde a amené des melons, c'est un délice au réveil, mais c'est aussi un festin pour les guêpes. Chacun sa stratégie, mais c'est comique de voir les réactions irrationnelles. Moi, je me bouche les oreilles et je respire. 

Il fait toujours plus chaud et c'est l'aventure pour aller se doucher. D'abord, elles sont sur le camping 1, c'est loin. Il faut passer un contrôle où les vigiles n'ont pas tout à fait compris le droit à l'accès à l'eau. Un petit mensonge, "oui, oui, on est du camping 1" et zou ! Arrivée à destination, petite surprise, c'est mixte, c'est open air. Et tout le monde se retrouve ainsi naturellement nu et à l'aise. Enfin presque, on garde encore quelques bouts de tissus. 

Dans la chaleur, on fond. Je suis en salopette, la jolie combinaison que ma maman a fabriquée quand elle était enceinte de moi. C'est ma jolie histoire. Et Delphine porte celle de sa maman aussi. On s'y sens libre. Dérives de discussion, alliance de nos amoureux pour vanner sur la tyrannie de leurs chéries. Un maté, deux matés. Il fait trop chaud pour faire une sieste et le site vient de rouvrir.

On se déguise à nouveau. Il fera sans doute trop chaud dans ces robes de bals mais j'ai envie d'enfiler mes talons haut et sous mon chapeau, l'élégance me donne de l'assurance. Dans ce champs de paille, le défilé commence. On joue. Il faut passer sous la barre, être les rois du limbo, pour certains le challenge est facilité par une respiration de poppers. 

Et la déambulation perché reprend. Je me souviens de lumières, je me souviens de couleurs, je me souviens d'ombrelle. A l'Attrape-Rave, le karaoké est lancé et un jeune homme nous éblouie de sa voix pendant que je me fais complètement arroser par un idiot. La magie des paillettes semble s'évaporer après ce moment où je me suis sentie agressée. Je me sens triste, fatiguée, déconnectée. 

J'ai du mal à reprendre pied. J'observe autour de moi ce tourbillon qui reprend de plus belle et je me sens loin. On grignote, des beignets de légumes, des petites pommes de terre de l'amor, de l'aligot... Je me sens perdue, quels repères, quel sens dans cet irréel qui m'entoure, quelles connections dans cet éphémère. Ma main dans celle d'Arnaud, je ballote. Je me sens un peu triste, triste de ne pas ressentir cette euphorie de la veille.

Je saisis l'occasion d'un retour au camping pour officiellement me changer. Les talons c'est bien gentil, mais dans la forêt, c'est quand même un brin ambitieux. C'est un prétexte. Il fait enfin nuit, et frais et j'en profite pour m'endormir discrètement dans ma tente. Il est 21h30. 

Réveil en sursaut. Pourtant j'avais mis un réveil. Mais ça y est, le goût de la fête me fait peur d'en rater la moindre minute. J'ai dormi presque deux heures. Le camping s'est animé de voix, de musique. C'est l'apéro. C'est le dîner. J'enfile un maximum de couches pour lutter contre le froid qui hier m'avait couché. Dissimulé sous ma robe, un jean, des collants, deux t-shirts. Et dans mon sac-à-dos, une petite doudoune efficace. Je suis parée !

Mais le départ est retardé. On est bien là. Ensemble. Le tourbillon se passe aussi ici. L'ivresse des sens, des couleurs, des connections. J'observe et je me laisse porter. C'est si agréable d'être ensemble. Sébastien me partage son cassoulet, on discute d'amitié. Claire m'offre un sandwich vache-qui-rit, concombre : un régal. Quelques paillettes et le tour est joué. Arnaud vient de débarquer, prendre son chaud manteau de fourrure et nous voilà reparti à l'aventure pour se noyer dans le son du festival.

Château Perché Festival 2018 - Lumières de fêtes - (c) Vincent Bernot

Les douze coups de minuit ont sonné, nous sommes transformés. Une princesse en robe bleue et des lights sur le chapeau, chut c'est un secret. Je ressens l'étourdissement de la fête et j'ai le cœur qui bat. Et il me faut danser. Nous sommes ensembles. Un câlin, des câlins. Avec Maëlle. Avec Delphine, avec Marylise. Avec tout le groupe. Multitudes de singularité. Belles et flamboyantes dans la nuit.

Tiens, j'ai aperçu Sabrina. Et Cécile. Tout d'un coup. On se raconte nos nuits, nos impressions, nos coup de cœur. Je rencontre Lucille, je suis maladroite. Et voici Cécile, un autre tournoiement, chacun dans son monde. Ils sont loin. Mais je les retrouve. Rencontre improbable dans un espace aussi grand. Le labyrinthe nous perd, nous emmène dans un éblouissement. 

Il est là. Je découvre le Bois des Dames. Et son ombrelle tourne, tourne, tourne. Motifs de lumière captivant à l'infini notre imagination. Je veux parler, mais les mots sont silence quand son regard est juste émerveillement. On s'éloigne, quelques pas. Quelques notes nous font faire demi-tour. Il y a une fanfare. 

Mais j'ai envie de retrouver le cocon du groupe. J'attire avec moi ce regard perdu. Je le murmure : je suis heureuse. La musique nous enveloppe. Mais toujours la curiosité reprend le dessus et la déambulation est un festin pour les sensations. On ne sait pas où on va. Les lumières jouent à chat sur la pierre, les petits coins secrets sont envahis, il y a une foule qui nous avalent. Suis-je moi dans cette digression à ciel ouvert des envies imaginées ?

Je suis interrompue. Déconnecté. Est-ce bien ou mal ? 
Un monologue s'installe dans mon esprit pour dénouer le vrai du faux, le réel du fantastique, l'émotion de l'envie, la sensation du désir. Je ne sais pas où aller. J'avance, je serre la main. Je rassure. Je m'inquiète. Je fais demi-tour. Je retrouve ce petit poucet abandonné. Je ne sais pas. Je ne sais pas ce que je veux, ce qui est bien. Je suis bien, je suis heureuse, j'ai envie de donner. De tourbillonner. As-tu envie aussi ?

J'essaie d'expliquer, je suis maladroite. C'est étrange de vouloir tout d'un coup raisonner dans ce microcosme de la fête alternative. Les mandalas de lumière viennent nous faire dériver. Je raconte, je dis trop, je ne dis pas assez. Pour rassurer. Mais j'effraie. "C'est compliqué". 
Et de nouveau, je suis interrompue. Ce sentiment frustrant d'avoir été sur le bord du précipice. 
Je n'ai pas dit ce qui était important. 

Est-ce bien, est-ce mal ? A quoi faut-il faire attention quand on s'enivre ainsi d'émotions ?
Je fais attention. Mais je perd le contrôle. Je culpabilise. 
C'est malin.
Encore une fois, je fais demi-retour. Je me rassure. Mais oui, c'est bon, je sais qui je suis. Je sais ce que je fais. Et j'ai envie de le faire. Petite conscience. Laisse moi assumer mes choix. 

Je tournoie vers le Namaste. Allégée. Colorée. Cœur battant. C'est chill. Je retrouve ce mouvement collectif d'extase improbable. On s'allonge, on est ensemble. Les gens dorment. Les gens sont blottis. Les gens sont beaux.
Je me souviens de ces deux hommes, ces deux lapins blancs, front contre front dans un baiser silencieux. 

Les mots se sont encore une fois évaporés. Je me blottis, je prends soin. Je lui demande de me raconter. C'est l'histoire d'un bateau. Est-ce que je l'ai réservé ? Cette sensation euphorisante, de pouvoir toucher la peau de l'autre. De se frôler. De s'entourer. De donner et de voir recevoir. 
J'aimerais encore une fois ressentir cette tête qui tournait, tournait, tournait.

Je sais pourquoi je me suis levée. Mais je ne sais pas pourquoi je ne suis pas revenue. Il était temps de me perdre quelques minutes en solitaire dans la nature. Je reviens, un club maté à la main. Et sur mon chemin. Arnaud. Delphine & Vincent, Adi, Paul-Sinh, Vincent, François... C'est la famille qui est réunit dans le chill bazar du Namaste. Avec un sourire et de la tendresse, j'accueille les visages perchés. François semble bercé par les contes du Camion et ses grenouilles. Je revois dans ma mémoire, son sourire, le menton calé dans ma main; j'aurai aimé que cet instant dure toujours.


Château Perché Festival - Improbable et naturel - (c) Marylise (&Clovis)


Les contes de fées sont racontés aux enfants pour dormir. Mais le groupe s'est soudainement réveillé et en route pour d'autres horizons. Je prends le temps de prendre du retard. J'ai encore envie de savourer le temps de l'éveil, la douceur de la confiance. François m'attend. 

Que penses-tu de l'amitié homme-femme ? La discussion est lancée. Dans le froid, nous parlons de tout, du pourquoi, du comment, de l'équilibre. Il y a quelque chose à comprendre, pour trouver son chemin et s'y sentir légitime. J'ai confiance en moi, est-ce pourquoi ? Est-ce que nous recherchons à être comblés ? Est-ce que nous courrons derrière des illusions ? A quoi nous servent nos idéaux quand nous trouvons le plaisir à construire dans la différence, c'est ça la nature du conflit qui nous anime et nous définit et qui fait que le chemin est tentant à parcourir. Nous nous protégeons dans nos choix et nos conventions, quels risques prenons-nous à les bouleverser, qu'avons-nous à y gagner ?

J'aurai besoin sans doute de revenir, au calme, sur ce que j'ai mûri cette nuit, en plein overdose de sons, de lumières, de sensations, cette conversation dans le froid m'a profondément touchée, changée, et fait prendre conscience de moi-même mais aussi des autres. On oubliant pourtant qu'on était dans un festival, qu'on était là pour danser...

On s'est dit bonne nuit à l'Attrape-Rave. Pour capturer les premiers rayons du soleil, on a dérivé jusqu'au Château. Dans les premiers rayons du soleil, une chaleur bienveillante s'est mis à couler. Des sourires, des effusions, une énergie nouvelle. Nous nous sommes à nouveau transformés : papillons de nuit en pétales colorés. 

Avec Zoé, Arnaud, François, Trystan, Delphine et Vincent, nous nous sommes posés mi-ombre, mi-soleil, près de la Bulle. Nous avons dégusté des Cocottes au beurre breton. Et je me suis oubliée dans la danse. C'était l'heure de ne plus exister, et perdue en moi-même, je me suis laissée emportée. Perdre l'équilibre, jouer avec les rayons du soleil. Trébucher, sauter, tourner. J'aime danser.

Il commence à faire chaud. C'est le cycle qui recommence. Je cherche le courant d'air. Il est 9h. Le namaste est bouillant, l'énergie du soleil est aussi venue bousculé ce refuge-chill. Je cherche à manger, je déambule, solitaire. Je reprends mon exploration. Je sympathise avec le monsieur des burgers d'Auvergne qui m'offre des frites. Lui aussi a passé une nuit blanche à observer les festivaliers.

C'est l'heure du petit train. Qui ne démarre pas. C'est l'heure du petit-déjeuner au melon et à la menthe avec "Pardonnez-nous". Des acrobates s'envolent sur la structure de bambou. Et nous savourons des smoothies glacés au concombre et gingembre. Ou bien était-ce l'heure du thé Chaï ? Je ne sais plus. La musique est enivrante, toujours. Et dans le soleil, nous sommes si bien.

On va chercher de l'ombre au carré des Platanes. Je m'endors sur les genoux de Zoé. Jusqu'à ce que le rythme de la musique me fasse sauter sur mes deux pieds. Toujours envie de danser. On commence à ne plus savoir si c'est le matin, la fin de la nuit, le début de la journée. Les inconnus sont des amis. Certains sont perdus. Certains sont endormis, certains sont très très loins.

Il est presque midi. Nous partons faire un dernier tour au Namaste Bazar où il fait chaud. Si chaud. On se glisse les uns à côté des autres dans les petites fenêtres d'ombre. Tout d'un coup, je le reconnais. Ce t-shirt. Ce regard. Mais c'est comme si c'était irréel; pas un sourire, pas un signe de reconnaissance et c'est déjà évanoui. Il était là finalement. Je me perds. Je cours dans les bras de Delphine. Je ne sais pas.

Il est déjà l'heure de la fin.


Château Perché Festival 2018 - Sur le chemin des rêves - (c) Constance

Il faut que je me secoue un peu. Que je retrouve ma concentration; je dois conduire des demoiselles jusque la gare de Moulins ! Je me mets un peu la pression pour me réveiller. Heureusement que nous sommes plusieurs et que nous pouvons discuter car je suis si fatiguée que j'oublie la route deux secondes après avoir tourné à un carrefour. Tout d'un coup, ce héron qui nous survole et je suis pas loin de nous finir dans le fossé. Ouf, nous voilà déjà de nouveau garé. Sorry pour tous les autostopeurs que je n'ai pas pu emporté.

Il est 14h, il est 16h, il est 18h... Il fait chaud. J'ai la tête qui tourne de fatigue. Je cherche les astuces pour me reposer. On construit un grand dortoir en plein air sous la tonnelle. Arnaud ronfle. C'est déjà l'heure du départ pour certains. Je m'active, je veux dormir. On se dit au revoir. A demain. On va se perdre dans les bois, chercher la fraîcheur au camping 3. Elle n'est pas vraiment là, on s'allonge, les voisins bavardent. Mais j'ai des vertiges et impossible de m'assoupir. Je me sens mal, comme écrasée.

Zoé compatit et me motive à retourner prendre une douche. On est pas équipé, mais cette fois, ce n'est pas grave. Plus de pudeur, plus de scrupules. En petite culotte, sous l'eau fraîche. Je me sens respirer. Enfin. On croise Delphine qui me raconte sa rencontre improbable, dire bonjour sans se connaître. Ah les situations sans queue ni tête qui viennent me faire rire, j'aime.

De retour au camping, je n'arrive pas à manger, mais j'arrive enfin à m'endormir bercée par la musique d'Edouard, le voisin qui cherche un covoiturage. Quand je me réveille, la nuit est déjà tombée. J'ai presque froid. Et déjà envie de retourbilloner. Et Château Perché m'offre cette joie : la fin n'est pas une fin et c'est encore la fête au Camping 1.

Nouvelle tenue de lumière, longue jupe et guirlandes lumineuses. Pas de thème aujourd'hui mais une envie d'être belle. Ce soir, c'est les amoureux de la fête qui sont toujours là. C'est une mer de casque lumineux, ces casques de la fête silencieuse qui nous accueille dans la nuit étoilée. Au loin, les éclairs grondent. Et je me laisse emporter. Je danse. Sous mon masque, l'oxygène manque.

Ce soir encore, c'est l'occasion de découvrir un monde féérique, fait de feu, de palettes, d'objets suspendu dans les branches de cet arbre immenses. Je le cherche. J'en trouve un autre. Il est là. Assis entre amis. Je le vois, encore, encore et encore. Un dernier sourire pour un au-revoir. C'est comme si c'était dans un monde parallèle. Sinon je me suis oubliée dans la danse. "J'étais bien dans mes baskets".

La pluie tombe à petites gouttes d'abord. On s'est blottis sous l'arbre, à demi-endormi. J'aime cette confiance, j'aime cette tendresse. C'est le dernier soir et il est tout simplement magique.

Et l'orage est là. Pluie battante, arrêt de tout. C'est la tempête. Le vent souffle et je ris sous la pluie. Je protège mon masque. Au campement, tout s'envole et c'est le bran-le-bas le combat pour démonter les tonnelles. Avant de m'endormir, je fais un détour. Il n'y a personne quand j'appelle. Sa tente est vide. Alors je vais me plonger dans les bras de Morphée sans me poser de questions. Merci Zoé de m'héberger.

Cette deuxième journée a été un long ensemble continu, où je me suis perdue, retrouvée, oubliée, épuisée... Je crois que je ne réalise pas encore l'ampleur du vide qui va m'envahir après ce trop-plein quand au réveil, il faut ranger, tout replier. On fait une pause pour prendre un thé.

Merci François de m'avoir offert ce retour à deux. Où nous avons prolongés nos discussions de la nuit froide. Merci de m'avoir écouté. Merci aussi de te confier.

Et me voilà, chez moi. Les mots se bousculent après le silence des nuits ivre de sensations. Je suis définitivement perdue. Pourquoi ? Que s'est-il réellement passé que je n'arrive pas à reprendre pied ?




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