vendredi 9 novembre 2018

[174] A coeur battant (chut !)

Retenir sa respiration. Ecouter le silence, écouter sa respiration. Ecouter la nuit et son cœur qui bat.

Automne et ciel normand - Abbaye - (c) Maud


J'ai glissé mes livres préférés dans des cartons. Quel choix étrange que d'enfermer tant d'évasions passés dans les placards de mon enfance. Comme si une page se tournait et pourtant je fais ce choix pour pouvoir, un jour, la retrouver. J'ai glissé mes souvenirs dans de petites boîtes et je les ai emportés dans le silence de la nuit. J'ai roulé seule, en silence. Remontant la route de mon histoire.

Je suis arrivée à l'Abbaye, il faisait nuit noire.
C'était silencieux. C'était étrange d'être à nouveau ici. Seule. La dernière fois, c'était le Pater Noster. C'était il y a peu, c'était il y a longtemps. Les émotions qui resurgissent me semblent étrangères et pourtant familières. Dans cette chambre, dans ce lit. Préparer avec effervescence une fête éclectique, aimer d'amour et pleurer de joie ou de tristesse. S'abandonner, s'oublier, s'éparpiller, se lover.

Au réveil, c'est les petites traditions qui me reprennent. Boire un thé, manger du pain, du beurre, de la confiture (de la gelée de coing)... Et papoter avec Papa. De tout, du monde, de la famille, de politique, de voyages, de projets, du Pater Noster, de Noël, de déménager, de fromages, de jardins... La lumière est fascinante, c'est l'automne et le pays de Caux révèle ses secrets.

Après avoir rangé soigneusement mes cartons, griffonnés dessus au stylos pour que chacun puisse y trouver son bonheur, nous partons à la cueillette des framboises qui régaleront mes papilles pendant plusieurs jours. Il fait un peu froid, elles sont un peu plus petites, mais encore si nombreuses. Sous le ciel qui s'assombrit, je savoure les plus mûres, je me pique sur les orties. Je suis heureuse. 


Nature en scène - La Halle Papin / La Briche - (c) Maud

Dans le silence du train, je lis. Mon cœur se serre. Je me sens trop proche. Je n'ai pas envie, je ne suis pas encore prête pour revivre ces émotions. Je n'avais pas pensé que cela irait si loin. Quand j'ai commencé "Les Mandarins", j'ai été fasciné par la facilité de m'y plonger, la fluidité de cette littérature, mes intérêts pour les sujets politiques, relationnels, ma capacité à prendre du recul sur les situations explorées. J'ai lu avec jugement, avec distance les histoires de Henri et Paule. Mais maintenant que c'est celle de Anne qui prend de la profondeur, je suis perdue dans ces émotions qui sont aussi les miennes, qui me font peur, qui me submergent. Je suis elle, elle est moi. Ils sont eux. Et je sais ce qu'elle vit. Et je vois pourtant, spectatrice de l'histoire, l'impuissance. Et je la vis. Et ça me bouleverse. Et je n'arrive plus à lire, et je n'arrive pas à m'arrêter car je veux savoir la suite... Et j'ai peur.

J'ai écrit ce que j'avais sur le cœur. "Bon voyage". 
Je ne suis pas encore prête pour y penser et pour savoir ce que je ressens.

Je suis arrivée chez maman dans la nuit tombante. Les travaux sont terminés. Je revois les paysages, le métro passe sur la Seine. C'était pourtant court et éphémère. Mais je me souviens. 

Cela fait longtemps que je n'étais pas passé. Et encore une fois, le séjour est trop court. Maman me fait un récit, à suspense, de ses aventures et j'écoute avec plaisir les rebondissements de ses histoires. Les travaux sont presque finis. Et c'est beau. 

Elle a cuisiné. Et nous papotons. De tout, de rien. Des amis, des travaux, du voyage, de la famille, de Noël, des cadeaux, des rencontres, des histoires d'amour, des bijoux, de vêtements, de travail, d'énergie, de Zora, de religion, de films et de séries... Nous nous sommes couchées tôt, j'ai regarder le happing ending de "Un Jour Sans Fin". Le matin, j'ai réussi à être un peu studieuse, en scannant page par page mes notes sur Saint-Vincent-de-Paul, avant de reprendre nos conversations infinis dans l'après-midi. 

17h. Déjà l'heure de partir attraper le train. C'était trop court et j'ai hâte de revenir. 


Horizon dépaysant - Canal à Bruxelles - (c) Maud 

Retenir sa respiration. Regarder la nuit, regarder la buée sur la vitre. Regarder le monde qui défile et sentir son cœur battre.

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